Le débat sur l’usage de l’intelligence artificielle dans les médias vient de connaître un tournant judiciaire en France. Deux filiales du groupe Infopro Digital, L’Usine Nouvelle et Le Moniteur, ont été sommées par le tribunal judiciaire de Paris d’arrêter immédiatement l’exploitation de technologies d’IA générative pour la production de contenus. Cette décision intervient à la suite d’une plainte déposée par la société Tenor Conseil, dénonçant un manquement contractuel et un risque d’atteinte aux droits d’auteur.
Ce jugement inédit révèle la tension croissante entre innovation technologique et respect des obligations contractuelles dans l’univers de l’édition. En interdisant, même temporairement, l’usage de ces outils par deux organes de presse influents, la justice française pose une première limite à l’intégration de l’IA dans les processus éditoriaux. Selon les informations du Monde, cette affaire met en lumière une clause contractuelle selon laquelle les prestataires de rédaction externalisés par Infopro Digital devaient fournir un travail “manuel et original”, excluant toute intervention automatisée.
Les magistrats ont estimé que l’usage d’un système d’IA générative, même partiel, constituait un non-respect de cette exigence. Si l’ordonnance n’évoque pas directement les modèles utilisés, la procédure a révélé que plusieurs articles auraient été élaborés à l’aide d’un outil d’aide à la rédaction dopé à l’IA, sans transparence sur ce point vis-à-vis du client. Un précédent qui pourrait avoir un effet domino sur les pratiques de sous-traitance dans la presse.
La décision de justice ne porte pas sur la légalité de l’intelligence artificielle en tant que telle, mais bien sur sa place dans un cadre contractuel défini. Il ne s’agit pas d’interdire l’innovation mais de rappeler que la technologie ne peut se substituer aux engagements signés. En ce sens, ce litige pourrait faire école. Pour les professionnels du secteur, l’affaire réveille une question cruciale : comment encadrer juridiquement la production de contenus mêlant contributions humaines et génératives ?
À l’heure où de nombreux groupes médias accélèrent l’intégration de l’IA dans leurs flux de production, la clarification des droits, devoirs et méthodes devient incontournable. La jurisprudence en gestation pourrait amener les entreprises à revoir leurs clauses de sous-traitance, à instaurer des audits sur les méthodes de travail, et à repenser la place de l’humain dans la chaîne de création de valeur. Elle impose aussi une meilleure traçabilité de la contribution des IA dans les contenus livrés.
Plus largement, cet arrêt provisoire soulève une tension plus politique : peut-on faire confiance aux géants de l’information pour utiliser l’intelligence artificielle de façon éthique et encadrée ? Et surtout, quelle transparence offrir aux lecteurs lorsqu’ils consomment un article co-écrit par une machine ?
Les entreprises ayant recours à l’IA dans leurs processus de publication doivent désormais anticiper un double impératif : celui de l’efficacité technologique et celui du respect contractuel. Cela suppose de renforcer leurs politiques internes, de documenter les usages et de former leurs équipes aux nouvelles exigences légales. Le droit évolue, mais il n’a pas encore tranché les contours précis de l’intelligence artificielle dans la production éditoriale. Cette affaire Infopro Digital pourrait bien en être la première brique.