Quand Netflix utilise l’IA pour créer une scène spectaculaire : vers une révolution dans la production audiovisuelle ?

Netflix vient de franchir une nouvelle étape dans l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’industrie du divertissement. Dans la série “What Jennifer Did”, un plan de la scène d’ouverture a été conçu par un modèle d’IA générative, démontrant à quel point ces technologies peuvent désormais jouer un rôle créatif de premier plan. Si cette prouesse technique impressionne, elle suscite également des interrogations fondamentales sur la transformation du métier d’artiste, la fiabilité narrative des contenus créés par IA, et bien sûr, la question de la propriété intellectuelle.

Selon le site Phonandroid, la scène en question, une vue aérienne plongée dans l’obscurité au-dessus d’une banlieue résidentielle canadienne, semble anodine. Pourtant, elle n’est pas réelle. Elle a été entièrement générée à partir d’un prompt texte, puis animée pour s’intégrer dans le rythme dramatique du documentaire. Cette scène n’a pas été filmée par une caméra ou conçue par un infographiste, mais par un système de génération visuelle automatisé. Le spectateur, lui, n’y voit que du feu. Pour Netflix, ce type d’usage de l’IA permet de réduire les coûts, de gagner du temps et d’élargir le champ des possibles créatifs. Pour les techniciens de l’image et les professionnels du cinéma, en revanche, l’initiative illustre un bouleversement majeur, voire une menace directe.

Ce recours à l’IA dans la création d’un contenu diffusé à grande échelle n’est pas un cas isolé. D’autres plateformes expérimentent déjà des outils similaires, à l’image de Runway, Pika Labs ou encore Sora d’OpenAI. L’industrie audiovisuelle, déjà confrontée à une fragmentation des audiences et à une pression croissante sur les budgets de production, voit dans l’IA un levier pour industrialiser certaines tâches techniques ou créatives. La génération automatique de décors, de transitions, de bruitages ou de doublages devient une pratique de plus en plus courante, notamment dans les productions à faible budget ou les documentaires.

Mais ces évolutions posent plusieurs problèmes. D’abord, la question de la véracité : dans un genre comme le documentaire, insérer des images générées peut brouiller la frontière entre fiction et réalité. Si une scène est fabriquée de toutes pièces mais présentée comme authentique, le spectateur est-il trompé ? Où se situe la limite entre reconstitution esthétique et manipulation narrative ? Ensuite, la propriété intellectuelle. Si une IA produit une image ou une séquence à partir de milliers d’exemples trouvés sur Internet, y a-t-il emprunt ? Plagiat ? Œuvre originale ? Ce flou juridique alimente une inquiétude croissante chez les créateurs et ayants droit. Selon une étude publiée dans Variety en mai 2025, plus de 64 % des professionnels de l’audiovisuel estiment que l’IA menace directement leur métier, notamment dans les secteurs de la post-production.

Enfin, un troisième point interpelle : la contractualisation. Dans un contexte où les IA sont utilisées pour remplacer des artistes, comment garantir un usage encadré et équitable ? Pour éviter une dérive vers une automatisation sauvage, les producteurs et diffuseurs devront intégrer de nouvelles clauses contractuelles. Cela inclut : l’obligation de mentionner les éléments générés par IA dans le générique ; l’engagement de respecter les droits des œuvres utilisées en base d’entraînement ; ou encore la mise en place d’une supervision humaine obligatoire lors des choix artistiques critiques.

Netflix, de son côté, n’a pas communiqué précisément sur l’outil utilisé pour générer cette scène. Mais selon plusieurs experts du secteur, il s’agirait d’une solution propriétaire combinant modèles de génération visuelle et outils de traitement vidéo. Cette approche intégrée pourrait devenir un standard pour les grandes plateformes de streaming, qui cherchent à maîtriser toute la chaîne de valeur de la production, du scénario à la diffusion.

Cette transformation profonde appelle à une prise de conscience collective. L’IA peut certes amplifier la créativité et démocratiser l’accès à certaines techniques coûteuses, mais elle redéfinit aussi la notion d’auteur, de décor, et même de mémoire collective. Dans un avenir proche, verra-t-on des séries entièrement conçues par des IA, sans que cela ne soit visible à l’œil nu ? La révolution est en marche, et l’équilibre entre innovation technologique, respect des métiers de l’image et encadrement éthique reste à construire.

Pour accompagner cette mutation, les acteurs du secteur devront contractualiser différemment leurs prestations : prévoir des audits de conformité sur les éléments générés, formaliser les limites d’usage de l’IA dans les contrats de production, et garantir la traçabilité de chaque création, de la base de données utilisée au rendu final. Le débat sur la propriété des images créées par IA n’en est qu’à ses débuts.

Netflix ouvre ici un chapitre nouveau, à la croisée de l’innovation et de la régulation. Le septième art se dote d’un huitième bras : l’intelligence artificielle. Reste à savoir si ce bras sera une aide précieuse ou une main invisible aux effets incontrôlés.