28 % de la musique livrée chaque jour à Deezer est générée par IA : la création sonne l’alerte

Face à l’explosion des contenus musicaux générés par intelligence artificielle, les ayants droit sortent les armes. Deezer alerte sur un phénomène massif, pointe du doigt des outils comme Suno et Udio, et met en place des systèmes de détection avancés. Mais l’industrie musicale, comme l’ensemble du secteur culturel, entre en zone de tension.

C’est un chiffre qui a fait l’effet d’une onde de choc dans le monde de la musique : selon Deezer, 28 % des morceaux livrés chaque jour à sa plateforme sont « entièrement générés par intelligence artificielle ». Soit plus de 30 000 titres par jour, souvent sans mention explicite, ni crédits clairs, ni intervention humaine déclarée.

Pour autant, ces titres IA ne représentent qu’une faible part des écoutes réelles : environ 0,5 % du total des streams, selon la plateforme. Ce chiffre n’en reste pas moins préoccupant pour l’écosystème musical : il révèle une industrialisation souterraine de la production musicale, opérée en grande partie par des systèmes automatisés.

Les outils dans le viseur : Udio et Suno

Deux noms reviennent en boucle : Udio et Suno. Ces générateurs permettent de créer une chanson complète en quelques secondes, à partir d’une simple phrase ou d’un style musical. Voix chantée, arrangements, rythme, mastering : tout est synthétique.

🔍 Universal Music a récemment lancé des poursuites contre Suno, l’accusant d’avoir utilisé des milliers d’enregistrements appartenant à son catalogue pour entraîner son IA, sans autorisation ni rémunération. La plainte déposée aux États-Unis évoque une violation massive du droit d’auteur, et réclame que lumière soit faite sur les datasets utilisés.

Du côté d’Udio, même logique : l’outil est redoutablement efficace, mais son opacité sur les sources d’entraînement suscite de plus en plus d’inquiétudes chez les ayants droit.

Face à cette déferlante, Deezer a développé une technologie maison pour repérer les morceaux générés par IA, notamment ceux produits par Suno et Udio. La plateforme affirme pouvoir détecter ces contenus avec un taux de fiabilité proche de 99,8 %.

Le système repose sur l’analyse du signal audio : les morceaux générés par IA laissent des artefacts statistiques imperceptibles pour l’oreille humaine, mais identifiables par des modèles d’apprentissage automatique. Deezer s’appuie également sur des métadonnées et des patterns de livraison pour affiner sa détection.

La plateforme revendique une approche généralisable, capable de reconnaître des morceaux générés par des outils encore inconnus, sans avoir besoin d’un jeu d’entraînement spécifique.

Des mesures contre les musiques générées à 100 % par IA

Une fois détectées, ces musiques ne sont pas supprimées, mais désactivées de plusieurs circuits de valorisation :

  • Elles n’apparaissent plus dans les recommandations algorithmiques.
  • Elles sont exclues des playlists éditoriales de Deezer.
  • Les streams suspects ou frauduleux (bots, clics automatisés) sont identifiés et exclus du calcul des royalties.
  • Un filtrage automatique est mis en place pour éviter que ces morceaux IA ne viennent parasiter l’écoute ou détourner des revenus indus.

En clair, Deezer cherche à préserver l’équilibre économique de la plateforme en évitant que l’intelligence artificielle ne détourne la rémunération des artistes humains au profit de producteurs anonymes ou d’usines à contenu.

Une période de guerre ouverte avec les ayants droit

Ces mesures techniques interviennent dans un climat de plus en plus tendu. La création est en guerre ouverte contre l’IA générative. Auteurs, interprètes, sociétés de gestion, producteurs… tous dénoncent un système dans lequel leurs œuvres sont utilisées sans autorisation ni rémunération, pour générer des contenus monétisés ailleurs.

En France, des organisations comme l’ADAGP, la SACEM, l’ADAMI ou encore la FIM montent au front. Une tribune signée par plus de 30 000 artistes évoque un « pillage » des œuvres culturelles par les IA, et réclame :

  • la transparence sur les datasets d’entraînement utilisés par les modèles d’IA ;
  • la mise en place d’un droit de retrait (opt-out) ou, mieux, de consentement préalable (opt-in) ;
  • la rémunération des artistes dont les œuvres ont été utilisées ;
  • l’obligation de marquage des contenus générés (watermark, metadata, mention explicite) ;
  • des quotas humains dans les algorithmes de recommandation, pour préserver la diversité artistique.

Le symbole fort de cette mobilisation : la sortie d’un album silencieux (Is This What We Want ?) par des centaines de musiciens, pour faire entendre le silence d’un monde privé de création humaine.

Le cas de Deezer est peut-être le début d’une régulation plus large. Les géants du streaming vont devoir choisir leur camp : encourager l’automatisation au risque de vider l’art de son sens… ou défendre un écosystème créatif fondé sur l’humain, l’intention, l’émotion.

D’un côté, des outils capables de produire 100 chansons par jour. De l’autre, des artistes qui rappellent que la musique, ce n’est pas juste une suite de sons — c’est une voix, une histoire, une émotion.